Sous la fine pluie anglaise, l’animateur Jeremy Clarkson quitte les locaux de la BBC la tête basse. En mars 2015, suite à une altercation avec un producteur, il se voit viré de son émission qui l’a rendu célèbre, la plus regardée au monde selon le Guinness Book des Records: Top Gear. Muni d’un billet d’avion, il s’envole alors en direction des Etats-Unis. A son arrivée, l’anglais est vite rejoint par ses compères Richard Hammond et James May, décidés à continuer l’aventure automobile à ses côtés. Entouré de quelques dizaines d’autres véhicules, le trio se gare près d’une tente posée en plein milieu du désert californien, floquée du logo orange de leur nouvelle émission: The Grand Tour.

Telles sont les premières minutes de cette nouvelle série diffusée, chaque vendredi, sur la plateforme de vidéo à la demande américaine Amazon. Ce n’est pas un hasard si Clarkson quitte l’Angleterre, base de la BBC, pour prononcer ses premiers mots depuis son licenciement sur la terre américaine, patrie d’Amazon. Telle une métaphore, le trio dit au revoir au hangar sombre et contrôlé de la BBC, pour embrasser la liberté de mouvement et de parole à l’intérieur de la tente offerte par le géant américain.

Si l’on pense immédiatement à un nouveau départ, l’ombre de la chaîne britannique continue de planer. Clarkson ne semble pas avoir digéré son éviction, et cela peut se percevoir dans le choix du titre, dont les initiales ressemblent étrangement à Top Gear. La rubrique « Celebrity Brain Crash » (pouvant être grossièrement traduit comme l’explosion du cerveau d’une célébrité) en est la partie de l’émission la plus explicite. Basée sur l’ancienne rubrique « A Star in a Reasonnably Priced Car » (une célébrité dans une voiture relativement pas chère), le titre prend tout son sens puisque l’invité… meurt sous les yeux hilares des spectateurs, alors qu’il tente de les rejoindre. Il n’est plus question d’interviews cire-bottes sur des canapés et de tours de circuit commentés en live par les pilotes en herbe. Des scènes sans grands intérêts en général, si ce n’est élargir le public visé et répondre au cahier des charges de la BBC. Cette rubrique humoristique souligne néanmoins la force que peut procurer l’aura de l’émission et de ses présentateurs, capables de faire venir les plus grandes célébrités britanniques et de l’automobile, pour l’enregistrement d’une seule scène, d’une durée inférieure à quinze secondes ! Si la mort des invités lors du premier épisode déclenche un rire, la disparition prévisible de la célébrité lors du huitième nous dessine un timide sourire. La réplique de James May, « cela veut dire qu’il ne viendra pas? » termine de nous achever sur le running gag prévisible et nous permet de passer à la suite. Difficile d’imaginer la pérennisation de cette pastiche, n’ayant aucun rapport avec le thème de l’émission, figurer à nouveau dans le conducteur de la prochaine saison.

holytrinity
Image aérienne du premier épisode, « Holy Trinity », représentant les trois supercars de Ferrari, McLaren et Porsche, sur le circuit de Portimao.

De Top Gear, il en reste néanmoins le meilleur. Les équipes ont beaucoup donné (et dépensé) pour rester dans la continuité. Cela fonctionne très bien comme l’épisode 5, « Morroccan Roll », entre une bataille navale revisitée façon James May, et un road trip sur les sublimes routes marocaines à bord de sportives. Cela fonctionne parfois mal, dont l’épisode 2, à la limite du hors-sujet, incarne bien la difficulté des scénaristes à emballer le public dans un spectacle s’éloignant de l’automobile. La complicité entre les trois hommes, co-présentateurs depuis 2003, est renforcée, malgré le script laissant parfois entendre un jeu d’acteur perfectible. Les images restent d’une esthétique rare en émission automobile, gros point fort du programme. Les sujets originaux, dont les fameux road-trips à travers un pays ou un continent, continuent de mélanger plaisir de la conduite et la découverte de la culture locale. Le débat « Conversation Street » du début d’émission, met sur la table plusieurs questions sur l’automobile, sur le ton de l’humour et des clichés faciles.

Et, bien sûr, l’aspect fondamental de l’émission : les meilleures voitures au monde. Malgré des critiques parfois cinglantes sur leurs nouveaux modèles de la part des animateurs, les constructeurs ont conscience de la portée de l’émission et prêtent certaines rares voitures pour les grandes occasions. Le trio Porsche – Ferrari – McLaren, longtemps réticent à comparer leurs trois dernières supercars respectives, ont trouvé un terrain d’entente sur le circuit portugais de Portimao. Si vous avez manqué l’affrontement ultime, déjà teasé à l’époque de Top Gear, rendez-vous à l’épisode « Holy Trinity », de la nouvelle aventure automobile made in America, avec des anglais dedans, The Grand Tour.